Le pont

Darren Schiller

 J’avais devant les yeux les ténèbres. L’abîme

Qui n’a pas de rivage et qui n’a pas de cime,

Était là, morne, immense ; et rien n’y remuait.

Je me sentais perdu dans l’infini muet.

Au fond, à travers l’ombre, impénétrable voile,

On apercevait Dieu comme une sombre étoile.

Je m’écriai : — Mon âme, ô mon âme ! il faudrait,

Pour traverser ce gouffre où nul bord n’apparaît,

Et pour qu’en cette nuit jusqu’à ton Dieu tu marches,

Bâtir un pont géant sur des millions d’arches.

Qui le pourra jamais ! Personne ! ô deuil ! effroi !

Pleure ! — Un fantôme blanc se dressa devant moi

Pendant que je jetai sur l’ombre un œil d’alarme,

Et ce fantôme avait la forme d’une larme ;

C’était un front de vierge avec des mains d’enfant ;

Il ressemblait au lys que la blancheur défend ;

Ses mains en se joignant faisaient de la lumière.

Il me montra l’abîme où va toute poussière,

Si profond, que jamais un écho n’y répond;

Et me dit : — Si tu veux je bâtirai le pont.

Vers ce pâle inconnu je levai ma paupière.

— Quel est ton nom ? lui dis-je. Il me dit: — La prière.

Diante de mim, a escuridão. A voragem

Que não tem cimo e que nem sequer tem margem

Lá estava, sombria, imensa; nada nela mexia.

Perdido no mundo infinito eu me sentia.

Ao longe, através da sombra, impenetrável véu,

Entrevia-se Deus, pálida estrela no céu.

Clamei: – Ó alma, alma minha! eu precisava,

Para atravessar o abismo cujo fim não vislumbrava,

E para durante a noite até Deus eu ascender,

De construir uma ponte e em mil arcos a estender.

Quem o conseguirá? Ninguém!ó dor! tormento!

Chora! – Um fantasma branco ergueu-se no momento

Em que à sombra um olhar de temor eu deitava.

A forma de uma lágrima esse fantasma mostrava;

Tinha uma fronte de virgem e duas mãos de criança;

Lembrava um lírio que toda a brancura alcança;

As suas duas mãos juntas acendiam uma luz.

Apontou o abismo onde tudo a pó se reduz,

Tão fundo que nem o eco aí segue a sua lei,

E disse-me: – Se quiseres, a ponte construirei.

Para o desconhecido ergui meus olhos do chão.

-Como te chamas? perguntei. Respondeu: – A oração.

Victor Hugo

in, “Poemas: Victor Hugo”